Les investigateurs ont comptabilisé les mères célibataires à travers les naissances dans les hôpitaux publics. Celles qui accouchent en dehors de ces établissements ne sont pas comprises, ce qui veut dire que les chiffres constatés pourraient être plus importants.
En 2010, elles ont été plus de 27.199 mères célibataires et représentent 4,11% du total des femmes qui ont accouché en milieu hospitalier ou non hospitalier, soit une baisse par rapport à 2003 où ce taux était de 4,7%. Mais, et c’est là la nouveauté, elles font de plus en plus d’enfants et se rapprochent de la situation des femmes mariées. L’étude de la parité, c’est à dire le nombre d’enfants par femme indique qu’en 2009, 65% des mères ont accouché pour la première fois. En outre, 35% ont entre 2 et 6 enfants contrairement à 2003 où il n’était que de 14%.
Ce qui veut dire que nous sommes devant un fait de société qui pose des questions. Pourquoi les mères célibataires font-elles de plus en plus d’enfants? Est-ce le résultat de leur plongée, pour beaucoup d’entre elles, dans la prostitution? Est-ce parce que trop souvent on oublie que parmi elles il y a aussi toutes celles mariées uniquement par la Fatiha et donc sans reconnaissance civile? Est-ce à cause d’un tissu associatif, qu’on juge à tort, comme trop conciliant à leur égard?
Cette «récidive» pose en réalité le problème du suivi et de la prise en charge. En tout et pour tout, le tissu associatif spécialisé, qui compte 16 associations, ne prend en charge que le tiers des mères célibataires, leur permettant ainsi de garder leurs enfants, d’apprendre un métier et pourquoi pas de s’assumer financièrement. Entre 2003 et 2009, il a permis à 33.000 enfants de rester avec leurs mamans.
Mais la grande lacune du tissu associatif est qu’il oriente son discours vers l’enfant et non vers la mère célibataire. Il ne le fait pas d’une manière intentionnelle. Loin de là. Mais parce qu’il agit dans un milieu social et juridique hostile à la mère célibataire en tant qu’individu. Au mieux, celle-ci est considérée comme une victime. Au pire, comme une prostituée. Cette mentalité rétrograde et injuste pousse les associations donc à agir d’une manière défensive, occulte et non valorisée. Pour résumer, on est dans une logique de morale et non de droit vis-à-vis de la mère célibataire.
L’hypocrisie sociale maintenue sur le sujet des mères célibataires est consacrée par les lois. A commencer par l’article 490 du Code pénal qui incrimine toute relation en dehors du mariage et le Code de la Famille qui dispose que tout enfant né hors mariage est un enfant illégitime et ne peut avoir de lien juridique avec le père. En débarquant dans une maternité pour accoucher, toute maman célibataire risque d’être appréhendée par la police et d’être jugée pour débauche, conformément à une circulaire ministérielle. Si elle n’est pas couverte par une association, elle abandonne son enfant ou le vend entre 1.000 et 70.000 dirhams aux réseaux de trafics de bébés qui pullulent dans les hôpitaux.
Que gagne l’Etat avec ses lois d’un autre âge face à des drames pareils? En 2009, 8760 enfants ont été abandonnés dont 38% d’une manière illégale. Persister à dire qu’on veut atténuer le phénomène de l’abandon des enfants alors qu’on met les mères célibataires sous les verrous relève de la démagogie. Et c’est peu dire.
Les analyses par ADN pour prouver le lien de filiation sont une autre marque d’hypocrisie sociale. On avait longuement applaudi cette mesure lorsqu’elle a été instaurée par le Code de la Famille. La réalité a montré que c’était un leurre. D’abord, ces analyses ne sont valables que lorsqu’il y a des fiançailles officielles entre la mère et le père et puis, sommum de la bêtise, ce dernier doit lui même reconnaître ce lien! Ceci sans parler du prix de ces analyses qui est prohibitif. In fine, à travers ce test biologique, on a voulu remédier aux lois injustes vis-à-vis des mères célibataires, mais on n’a fait que les embourber dans le dénigrement social et exacerber chez elles le sentiment de la Hogra.
Cette contradiction entre le discours et la réalité du terrain est alarmante dans une région comme Souss Massa Daraa. Dans cette région pourtant connue pour être très conservatrice, les mères célibataires sont les plus nombreuses et font le plus d’enfants. La région bat tous les records. Elle est la première en terme de mères célibataires, la première en terme d’enfants abandonnés et la première en terme de nombre de personnes atteintes du Sida. «Cette région permet de palper le lien entre la puissance des interdits et le phénomène des transgressions. Plus une communauté est rigide à l’égard de ses composants, plus elle censure et construit des taboucs», peut-on lire dans cette étude.
La conclusion est claire. Si la mère célibataire fait de plus en plus d’enfants, c’est parce que la société refuse toujours de se focaliser sur elle; sur son éducation sexuelle; sur son éducation tout court. Cela peut paraître incroyable, mais soulignons juste que beaucoup de mères célibataires ne font même pas la différence entre un acte sexuel et une grossesse!
S’il y a bien une leçon dans l’étude de Insaf, c’est qu’il est temps que «ces créatures de la honte» soient réhabilitées au niveau des lois pour que les associations puissent reconstruire leur approche sur une base de droit et non de morale. Seule cette réhabilitation juridique pourra amener ces mères célibataires à devenir responsables de leurs actes et à s’assumer.