Il y a deux qualificatifs qui sont très difficiles à porter par les temps qui courent : laïc et éradicateur. Il y a d’abord des raccourcis historiques qui leur donnent une charge négative. La laïcité renvoie automatiquement à l’expérience française, à la lutte sanglante contre l’église, contre la religion. L’éradication renvoie à la situation algérienne et aux massacres commis au nom des éradicateurs.
Pour ma part, je suis laïc et éradicateur et je n’ai pas changé après le 25 novembre. Je suis pour l’autonomie des sphères, pour que la religion relève uniquement de la sphère privée, qu’elle n’empiète aucunement sur l’espace publique. Je suis éradicateur, je ne veux ni tuer, ni embastiller les intégristes, mais éradiquer la pensée passéiste qui est la leur, éradiquer cette idéologie de repli identitaire qui prône la haine de l’autre et fait le leit du terrorisme. C’est le sens de mon engagement et ce n’est pas une défaite électorale, aussi cuisante soit-elle qui va me faire changer de bord.

D’autres prônent un discours qui prépare les nouvelles défaites. Ainsi l’intégrisme aurait changé, en bien nous dit-on. C’est donner à une réalité une interprétation hâtive. La réalité c’est qu’à l’intérieur du PJD depuis 2003 il y a un débat sur la séparation entre la politique et ce qui relève de la prédication. Mieux ce débat en a initié d’autres plus profonds. Ainsi certains cadres du PJD explorent les voies non pas de l’autonomie des sphères, mais d’une distinction. Selon des membres de la commission qui a rédigé la constitution, l’association « Al Karama » appendice du PJD opérant dans les droits de l’homme a revendiqué la liberté de conscience. Ces débats doivent être pris en compte, mais ils ne changent en rien la nature du projet intégriste. Il ne faut pas s’arrêter à la direction du PJD, qui instrumentalise ces débats en vue de sa normalisation. Les trompes du PJD, ce qui est différent de son électorat beaucoup plus large, sont constituées par le MUR. Et ce mouvement-là est d’un rigorisme implacable ne cachant aucunement ses visées totalitaires au nom de la religion.

Ceux qui voudraient nous faire croire que les Islamistes ont radicalement changé se bercent d’illusion. Il nous faut être attentifs aux rapports de force à l’intérieur de ce mouvement, certes. Il nous faut l’honnêteté intellectuelle de reconnaître des avancées quand elles ont lieu, mais sans naïveté.
Le PJD aux affaires va entrer en contradiction avec une réalité qu’il fait semblant d’ignorer : La société est sécularisée en grande partie. Benkirane a déjà annoncé qu’il ne touchera ni à l’alcool, ni aux festivals, ni aux libertés individuelles. Dès lors les contradictions avec ses bases apparaîtront. La sortie d’Abou Zaid sur le FIFM n’est qu’un avant goût des contorsions qu’il faudra au PJD pour ne pas se renier vis-à-vis de ses bases.

Ce n’est pas le moment de transformer une défaite électorale en débâcle sociétale. Il nous faut tirer les leçons du passé ! En refusant le combat idéologique nous avons facilité l’extension du mouvement intégriste. Le « Tous Musulmans » s’est révélé funeste pour le camp dit moderniste. En cherchant à contester la propriété de la référence religieuse aux Islamistes, de manière peu crédible par ailleurs, nous avons brouillé notre discours et permis à celui de nos adversaires de prospérer dans un contexte régional qui leur est favorable.

On ne modernise pas une société dol, en la trompant sur la marchandise, en l’espèce le projet. Dans l’étape qui s’ouvre le maintien de cette attitude serait suicidaire. La refondation d’une nouvelle gauche passe par la clarification du projet de société.
Cette clarification concerne la sécularisation de la religion, en premier lieu, mais aussi les rapports sociaux, en particulier, le renforcement de la cohésion sociale par la redistribution non pas caritative, mais dans le cadre d’une protection sociale, d’un modèle finançable mais ambitieux.

La refondation est combat exaltant. Les forces sociales qui aspirent à un tel projet existent. Dans l’humilité, mettons-nous au travail pour le préparer. Ce n’est pas en se reniant qu’on y arrivera.