Que d’indignation! Que de rage! Que de cris d’orfraie poussés par nos belles âmes après l’installation du gouvernement de Benkirane. On s’étrangle, on s’emporte, on se scandalise, non pour la présence de ministères de souveraineté dans un gouvernement qu’on a juré pourtant qu’il serait partisan et politique, ou encore pour la nomination d’Akhenouch, qui change de parti comme le Morocco Mall change de vigiles, mais à cause de la présence d’une seule femme au gouvernement. Et quelle femme! Bassima Hakaoui, qui a le tort, d’après ces belles âmes, de défendre une vision conservatrice de la cause féminine. Comme si une militante et dirigeante islamiste était censée prêcher et promouvoir des idées laïques et égalitaristes sur ce genre de questions. On se croirait presque dans cette fameuse réplique de Louis de Funès : «  votre oncle est rabbin? Mais il n’est pas juif quand même? ».

 Ce nombrilisme, chez beaucoup de nos féministes et modernistes, est le résultat d’un aveuglement sidérant. Il considère qu’il n’existe qu’une seule forme, un unique modèle de concevoir la question féminine et de la défendre. Tout ce  qui est en dehors de ce modèle n’est alors qu’une exécrable soumission à la domination masculine, dont Bassima Hakaoui ne serait que l’instrument et l’agent. Une arrogance et un mépris qui font oublier qu’en 2000, Bassima Hakaoui et ses frères ont fait descendre des centaines de milliers de marocains dans les rues de Casablanca, pour  défendre ces valeurs conservatrices, que nos féministes et modernistes toisent par-dessus la jambe. Un peu d’humilité et de lucidité seraient plus que nécessaires.
 
 
Ces âmes charitables, qui ne jurent que par parité, égalité et discrimination positive, se lamentent, pleurnichent, crient au machisme, à la régression et à la  menace islamiste, oubliant la part de responsabilité des femmes elles-mêmes dans cette situation. Par le même aveuglement et déni de réalité, on oublie que la faible représentation des femmes au gouvernement n’est que le résultat naturel de leur insignifiante présence dans les partis politiques. Au lieu de s’engager, de changer les choses de l’intérieur des partis, de construire une carrière militante – car le militantisme est une carrière au sens noble du terme -,  on préfère tenir un discours geignard, quémandant des strapontins au parlement et au gouvernement. À défaut  de s’affirmer comme l’égale et la compagne de l’homme dans l’engagement politique, on déserte les partis et on se réfugie, quand on est tentée par le militantisme, dans les associations féministes et les organisations caritatives.
 Les militantes marocaines ont intégré et consacré cette loi sexiste qui divise l’action publique en deux catégories: le féminisme et le caritatif pour les femmes et la politique pour les hommes. Elles ont entériné par la pratique un vieux mythe poussiéreux : la sensibilité, la compassion et la solidarité sont des vertus féminines tandis que l’intelligence, l’autorité et la stratégie sont des qualités masculines. Ainsi, quand les partis désignent des femmes au gouvernement, ils les destinent d’avance aux ministères de la famille, de la condition féminine ou de la santé. Mais jamais à l’économie, à l’intérieur ou à l’industrie, réservés aux hommes.  Comme s’il s’agissait de la répartition de jouets dans une famille, la nuit d’une fête : « le ballon est pour le garçon et la poupée, c’est pour la fille».
 
Par un mélange d’opportunisme, de résignation, de manque de volonté et de panache, on se réfugie alors derrière les paresseux et confortables principes de la parité et des quotas. Comme un handicapé exhibant sa carte d’invalidité dans un bus pour qu’on lui cède une place, on expose sa féminité comme une infirmité pour obtenir quelques sièges au parlement. On s’assoit alors sur les principes de mérite, d’engagement et d’égalité qui doivent être au cœur de l’action politique et on préfère se réclamer des pourcentages et de la parité, avatars dégénérés de la galanterie et de la courtoisie envers les femmes.
 
La politique n’a pas changé depuis Machiavel, qui la définissait comme une activité de lions et de renards, c’est-à-dire de courage, de violence et de ruse. On accepte dans cette activité d’encaisser des coups et d’en donner, de lutter, d’y investir son temps et son énergie. Or, les femmes marocaines, par leur résignation et leur défection, refusent d’être des lionnes et de renardes. Elles restent à l’écart de la politique ou demeurent à sa lisière en boudant les partis et en se cantonnant dans le caritatif et l’activisme féministe, louables et nécessaires, mais hélas, insuffisant pour arracher une vraie place dans la vie politique. Sans cet engagement, les femmes continueront encore à se lamenter sur leur sort et nos belles âmes à hurler au machisme et à la domination masculine.